5 types de pertes à connaître (personne aimée, monde connu, appartenance à un groupe…) pour nommer les différentes souffrances (et mieux vivre le deuil)
L’effondrement de notre civilisation (à venir et en cours) nous invite à repenser notre rapport à la perte : nous allons devoir (ré)apprivoiser la peine et (re)penser le deuil. Dans son livre Une autre fin du monde est possible, Pablo Servigne présente le travail de Francis Weller, psychologue américain qui travaille avec des malades incurables. L’originalité de sont travail consiste à avoir mis en évidence cinq types de pertes à l’origine de souffrance et dont nous pouvons faire le deuil. En général, seule la première perte est bien connue (la perte des personnes que nous aimons) et les autres restent mal comprises, voire occultées (perte du monde connu, perte de l’appartenance à un groupe, perte de soi-même en tant que personne aimée…).
Ces « portes » (gates of grief) aident à nommer et à reconnaître les types de souffrance, et fonctionnent donc comme une boussole à cinq directions pour apprendre à naviguer dans ces abysses. – Pablo Servigne
1.Ce que nous aimons
Le premier type de perte se focalise sur ce que nous aimons. Elle se résume comme suit : « Tout ce que nous aimons, nous le perdrons. »
Servigne rappelle que la peine permet de garder le cœur ouvert à l’amour de ce que l’on a perdu.
L’amour et la peine sont sœurs, tissées ensemble depuis le début. Il n’y a pas d’amour qui ne soit pas affecté par la perte, et pas de perte qui ne nous rappelle pas l’amour que nous portons à ce qui a été un jour proche. – Francis Weller
2.Les endroits de nous-mêmes que nous n’aimons pas
Le deuxième type de perte peut être surprenant : il s’agit des endroits de nous-mêmes que nous n’aimons pas, qui n’ont pas connu l’amour et dont nous pouvons avoir honte.
Pablo Servigne parle de ces « morceaux d’âme [qui] vivent dans un désespoir absolu », ce sont des endroits fragiles, vulnérables et souffrants qui n’ont jamais connu la compassion, la gentillesse, la chaleur (ni la nôtre, ni celle des autres).
On les cache, considérant justement qu’ils n’en valent pas la peine. Pour Weller, cette porte est importante car « nous ne pouvons pas ressentir de la peine pour quelque chose que nous considérons comme extérieur au cercle de ce qui nous importe ».
Cela est d’ailleurs troublant de repenser à l’expression “c’est pas la peine” dans cette perspective : je ne me donne pas la peine de m’occuper de cette peine. La peine, au sens de souffrance, est alors niée, l’émotion douloureuse est censurée.
3.Le monde
Le troisième type de perte est celui des « peines pour le monde » (Pablo Servigne parle aussi de « peines écologiques »), de plus en plus fréquentes.
J’en suis venu à constater que la plupart de nos peines ne sont pas personnelles ; elles ne sont pas la conséquence de notre histoire ou de notre expérience. – Francis Weller
Selon Servigne, ce type de perte est la preuve que nous savons profondément que nous ne sommes pas séparés du monde et que nous vivons en interdépendance : lorsqu’on détruit des habitats, qu’on tue des animaux ou qu’on pollue irrémédiablement des territoires, cela nous touche directement.
Le problème est que la souffrance du monde est gigantesque et nous dépasse. Comment rester sensible et réceptif à tous les assauts que subit la biosphère ? Rester présent, les yeux ouverts, demande du courage, des convictions et, plus que tout, du soutien. Pablo Servigne nous invite d’ailleurs, face à la prise de conscience de l’imminence et des conséquences de l’effondrement, de trouver un groupe, une communauté de soutien.
4.Les attentes de soutien de la part de la tribu
Le quatrième type de perte concerne la peine ressentie pour tout ce que nous étions en droit d’espérer et que nous n’avons jamais reçu de la part de la tribu.
Pendant des milliers de générations en tant que chasseurs-cueilleurs (l’essentiel de l’histoire de notre espèce), nous avons été façonnés biologiquement et culturellement à nous sentir partie d’une communauté d’humains et d’êtres vivants. Cette identité élargie dont nous sommes presque complètement coupés aujourd’hui suscite un manque puissant dont nous ne soupçonnons pas vraiment l’existence. – Pablo Servigne
5.La peine transgénérationnelle
Le cinquième type de perte est la “peine ancestrale” (ou peine transgénérationnelle). Pablo Servigne estime que cette peine est tapie au fond de nos cellules et provient des traumatismes de notre lignée personnelle (abandons, viols, suicides, etc.) ou des grands traumas collectifs comme les guerres, pogroms, chasses aux sorcières, etc. Ce sont toutes ces souffrances endurées par nos ancêtres qui n’ont pas été digérées et dont nous n’avons pas été libérés.
Pour aller plus loin : Nous héritons d’un bagage inconscient lié aux émotions refoulées par nos ancêtres.
Ainsi, connaître ces cinq types de pertes permet de reconnaître les différentes souffrances qui nous traversent et que nous ne comprenons parfois pas. Cette connaissance nous invite à nous laisser traverser par la tristesse et la peur afin de de mieux vivre cette période d’effondrement anxiogène, marquée par le changement et la perte à plus ou moins long terme. Nous gagnerions tous et toutes, à la fois personnellement et collectivement, à accepter et vivre nos émotions douloureuses, désagréables. La tristesse est un effet la réaction naturelle à une perte que nous connaîtrons fatalement, sur tous les types présentés dans un contexte d’effondrement.
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Source : Une autre fin du monde est possible de Pablo Servigne (éditions ). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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